Quels seront les impacts du freelancing dans 10 ans ?
Aux États-Unis, les freelances représentent déjà 36% de la totalité des travailleurs. En France, seuls 15% des travailleurs sont indépendants. Mais cette population connait une croissance importante dont nous pourrons mesurer les impacts concrets sur le marché qu'après une dizaine d'années. On ne peut pas encore identifier la fuite des salariés vers le freelancing comme l’unique raison qui expliquerait la pénurie de talents que nous traversons actuellement. En revanche, il se pourrait bien que des dynamiques de cet ordre naissent à mesure que les talents choisissent des environnements de travail, typologies de contrat ou modes de collaboration qui sont davantage adaptés à leurs besoins. Dans 10 ans, quels impacts pourrait-on observer suite à l’émergence du freelancing ? À quoi pourrait ressembler le monde du travail de demain ? Dans cet article, retrouvez les visions prospectives de plusieurs acteurs du freelancing, partagées lors du Free-Up Festival, sur les transformations qui pourraient s’opérer dans le monde du travail.
Une forte culture des soft skills
Les hard skills ont toujours eu la primeur sur le CV. Mais les softs skills gagnent en importance depuis quelques années. Les indépendants ont effectivement une double casquette : ils doivent maitriser leur expertise pour mener à bien leurs missions mais ils sont aussi poussés à développer leurs soft skills. Il peut s’agir d’apprendre par exemple des compétences en négociation, en résolution de problèmes, en communication, en intelligence émotionnelle, en langues (s’ils souhaitent se positionner sur un marché étranger), etc. À hard skills égales, comment les entreprises vont-elles choisir l’indépendant qui les accompagnera ? C’est précisément là que les soft skills ont alors toute leur importance. L’enjeu, pour les travailleurs freelances, sera donc de construire des stratégies de prospection et de vente en s’appuyant sur votre singularité. Pour reprendre les exemples cités plus haut, une entreprise dont la mission comporte de forts enjeux de transformation préfèrerait sans doute un profil qui saura faire preuve de pédagogie, et ayant des capacités solides en communication interpersonnelle.
Mais cette valorisation des soft skills pourraient toucher l’ensemble du marché pour tendre vers une culture du soft skills. C’est, en effet, une aubaine pour tous les talents qui pourraient ainsi être reconnus dans toute leur capacité. À l’instar des freelances, les profils salariés sont susceptibles de s’inspirer de cette “plasticité” des compétences afin de séduire les entreprises. Une bonne chose pour les entreprises mais un enjeu de taille pour les talents car ils devront trouver le moyen de se démarquer, autrement que par la maitrise de leur expertise.
On peut d’ailleurs faire un parallèle évident avec l’intelligence artificielle dont l’usage se répand massivement dans l’ensemble des métiers dit “intellectuels”. On évoque déjà l’automatisation de 30% des tâches exercées par les métiers du tertiaire. Cultiver ses qualités humaines sera donc un prérequis, avant même de devenir un avantage concurrentielle. La collaboration intelligente entre les compétences “dures” (à fort potentiel remplaçable) et les soft skills (le propre même de l’humain) fera la force des travailleurs de demain. Cela nécessitera donc une approche holistique, où les soft skills deviennent la toile de fond sur laquelle se déploient les compétences techniques.
Les communautés de freelances
Les indépendants qui réussissent sont des indépendants bien entourés. Qu’il s’agisse de mentors pour les épauler ou d’autres freelances qui vivent exactement les mêmes problématiques, l’époque du freelance solitaire sera bientôt résolue. Le freelancing offre une plus grande liberté de choix aux personnes qui choisissent ce statut, mais cela ne signifie pas pour autant que cela mène à l’isolement. Au contraire, le freelancing offre un nouveau cadre de collaboration où l’on peut choisir ses clients, mais aussi ses partenaires d’affaires sur des projets communs.
Afin de répondre aux besoins des entreprises, on pourrait voir se multiplier des équipes constituées d’indépendants, voire des communautés qui s’agrègent autour de certains acteurs forts dans l’écosystème freelances. Cela demande donc de développer un esprit communautaire, qui reconnait la force du collectif, ainsi que ses bénéfices (ex : perfectionnement de son expertise, apporteurs d’affaires et conséquemment, accroissement du chiffre d’affaires).
Les cabinets d’avocats pourrait être une bonne source d’inspiration pour constituer un nouveau cadre réglementaire. En s’associant à des cabinets, les nouveaux avocats s’engagent sur un certain nombre de dossiers, en échange de la renommée du cabinet auquel ils seront affiliés. Les indépendants pourraient ainsi avoir la possibilité de se rapprocher d’un collectif reconnu, tout en bénéficiant des spécificités juridiques propres au statut d’indépendants. Un moyen de séduire les entreprises qui redoutent le délit de marchandage.
Vers une poly-activité des talents : salariés & freelances
Fin 2023, on constatait encore une réserve des salariés quant à la question du 100% freelancing. Non pas que l’idée ne les séduit pas, puisque presque 60% des salariés envisagent de devenir freelance dans leur carrière (parmi ceux qui estiment avoir un métier pouvant s’exercer en freelance)*. Mais les freins, souvent des craintes d’ordre financiers, les dissuadent de passer le cap.
Comment aider ces talents à exerçant une activité freelance, en conserver leur sécurité actuelle ? Le slashing serait une première réponse. Il existe ainsi deux écoles : ceux qui alternent entre des périodes de freelancing et de salariat ou ceux qui exercent une activité salariée, à laquelle ils ajoutent des activités complémentaires. C’est d’ailleurs la seconde option qui fait davantage l’unanimité (63% de salariés souhaitent conserver leur poste pour avoir des revenus complémentaires, contre 50% de personnes qui envisagent de quitter leur poste actuel).
Ce n’est pas sans conséquence pour les entreprises puisque cela pourrait bien bousculer leurs fonctionnements de travail, qu’il est aisé de pressentir :
- la normalisation du télétravail : aujourd’hui, le télétravail perd du terrain puisque certaines entreprises choisissent de revenir à du 100% présentiel. Mais si le freelancing gagne de l’ampleur, on peut supposer que les travailleurs souhaitent mieux maitriser leur temps de productivité (exception faite aux nouvelles recrues, le télétravail a un impact positif sur la productivité des collaborateurs) et donc l’environnement de travail dans lequel ils vont exercer leurs missions quotidiennes.
- la réduction du temps passé en réunion : les salariés sont nombreux à se plaindre du temps passé en réunion, au détriment du temps passé à produire leur travail opérationnel. On peut imaginer (et c’est d’ailleurs le cas chez certaines entreprises qui ont mis en place une politique interne dédiée aux bonnes pratiques de réunion) que les entreprises vont changer leur culture afin de réduire la durée des réunions ou en adoptant de nouveaux moyens de collaboration, privilégiant notamment les retours asynchrones à l’image des prestations exercées par les indépendants.
- l’aménagement de travail en faveur des slasheurs : les entreprises, conscientes de l’avantage des profils freelances pour les nourrir en terme d’innovations, pourraient ainsi trouver le même avantage aux profils poly-actifs. Au lieu de cloisonner le temps de travail, on peut imaginer une flexibilité plus importante, par exemple en mettant en place la semaine de 4 jours afin de permettre aux slasheurs d’exercer leurs activités annexes pendant ce jour off.
On peut donc imaginer que la poly-activité des talents sera le compromis parfait, à la fois pour les talents qui souhaitent explorer plusieurs modes de travail et pour les entreprises qui pourront s’adapter progressivement leur culture afin d’intégrer le freelancing comme un mode de collaboration parmi d’autres.
Dans 10 ans, on peut donc imaginer le marché du travail comme un écosystème dynamique où les talents prennent véritablement en main leur carrière. Qu’ils deviennent 100% freelances ou qu’ils préfèrent la poly-activité, les entreprises vont nécessairement changer leur culture afin de s’adapter aux changements qui vont rapidement avoir lieu. Si l’on regarde l’ensemble de ces projections, on remarque le même fil rouge : l’humain reprendra sa place au coeur des collaborations. Mais les entreprises auront besoin d’être accompagnées pour enclencher ces changements. Allez-vous faire partie des précurseurs qui acculturent les entreprises ?
*Données issues de l’enquête réalisée par l’institut de sondage Viavoice, en partenariat avec Beager (octobre 2023).